Les monnaies anciennes étaient couvertes de symboles de valeur « spirituelle », et les métaux précieux (or, argent) des pièces leur conféraient une valeur quasiment « immuable ». En France, Philippe Le Bel a, le premier, commencé à manipuler le cours de la monnaie, en frappant des pièces avec une certaine tolérance en argent et en pratiquant des « mutations » (dévaluations) qui affectèrent les prix.
De nos jours, les consommateurs partent généralement du principe que les prix sont raisonnables s’ils sont « conformes » au marché. Il y aurait donc une entité « supérieure », décidant de la valeur des choses, qui s’appellerait le « marché ». En réalité, on sait très bien que, du fait d’un petit nombre d’acteurs, les distorsions sur les prix sont au contraire la règle. Certaines pratiques sont illégales, comme la fraude, le « dumping » ou les ententes sur les prix, mais beaucoup sont parfaitement autorisées, comme la production contrôlée, la tarification différenciée ou les subventions gouvernementales. Les spéculateurs ne sont pas en reste. Les banques centrales ne font elles-mêmes rien d’autre que de manipuler les marchés (dans ce cas, elles disent qu’elles les « régulent ») en fixant les taux d’intérêt, ce qui a pour effet de faire monter ou descendre les prix sur la plupart des secteurs de l’économie. Aujourd’hui, on se rend compte avec stupeur des désastres de cette économie de « marché ».
La monnaie a progressivement perdu toute garantie d’ordre supérieur (que cet ordre supérieur soit le roi, l’or ou le marché) et n’est plus désormais qu’une pure quantité à la dérive. Quand elle aura perdu toute raison d’être, même simplement pratique, elle devra sans doute disparaître sous sa forme actuelle…En effet, nous avons tous vu dans Star Trek qu’il n’y aura pas besoin de monnaie dans le futur 🙂
C’est dans ce contexte de crise qu’apparaît le Twollar. Cette monnaie virtuelle est d’abord destinée à exprimer sa reconnaissance de façon symbolique, et est donc à considérer comme une tentative pour redonner à la monnaie sa « vraie » valeur, celle qui repose avant tout sur les qualités humaines. « Les Twollars sont un nouveau type de monnaie qui récompense votre valeur sociale pour ce qu’elle apporte aux autres, et votre bonne réputation au sein de votre communauté. Un Twollar est une façon de convertir vos ‘bonnes actions’, vos connaissances, votre énergie, votre générosité en une unité symbolique et standard, qui peut être échangée avec les autres. » Des FAQ très bien faits expliquent dans le détail ce qu’est le Twollar et comment s’en servir pratiquement. Pour approfondir la question au plan « théorique », je conseille également la lecture de l’article de Marc Tirel sur le sujet.
Participation depuis Second Life à la discussion sur le Twollar lors du Cantine Crisis Camp du 7 mars 2009
Les mondes virtuels, tels que Second Life, sont un autre exemple de cette révolution dans les mécanismes d’échanges. C’est ainsi que des artistes ou des acteurs sociaux se voient offrir gratuitement du terrain et de l’assistance du fait même de leur qualités personnelles et du projet qu’ils portent. Ce qui vaut de l’or dans Second Life, ce ne sont pas les Linden Dollars mais les qualités humaines.
Le Twollar est peut-être aussi le signe avant-coureur de ce que Sasha Chislenko appelle « l’hypéréconomie » et Stephan Bugaj les « marchés socialement réactifs ». Les marchés socialement réactifs sont des marchés dans lesquels les valeurs de la société dans laquelle les transactions ont lieu sont prises en compte directement dans le prix des biens et des services. Dans ce type de marché, c’est la communauté dans son ensemble qui détermine les prix, et non plus seulement un petit nombre d’acteurs qui les manipulent.
Aujourd’hui, le Twollar ne constitue certes qu’un simple amusement pour un petit nombre d’utilisateurs de Twitter (moins de sept cents à l’instant où je publie ce billet). Mais cette innovation de rupture mérite sans doute qu’on s’y intéresse de près…