L’économie de Second Life n’est pas de ce monde

Alors que ce monde (réel) est en pleine crise économique et financière, Second Life continue d’afficher sa santé avec des chiffres étonnants sur le premier trimestre 2010 :

–  le montant total des transactions entre utilisateurs s’élève à 160 millions USD, en croissance de 30 % par rapport au premier trimestre de l’année précédente;

– le total des ventes sur le portail de v-commerce Xstreet atteint 2,3 millions USD, en croissance de 82% par rapport à T1 2009;

– le montant des L$ échangés sur la place de change officielle LindeX est de 31 millions USD, en croissance de 9%.

Il faut se rendre à l’évidence, et donner finalement raison à ceux qui proclament partout, haut et fort, que Second Life est « ringard ». Car il y a longtemps qu’on n’a pas connu une telle croissance dans le monde réel. Assurément, ce sont des chiffres qui appartiennent au passé 🙂

L’économie de Second Life n’est pas de ce monde, et le futur n’est plus ce qu’il était. C’est sans doute pour cela que certaines personnes ne comprennent rien aux univers virtuels, et à Second Life en particulier. Mais on leur pardonne volontiers car l’avenir, au fond, n’est rien d’autre que du passé en préparation… 

Note : Le titre est inspiré d’un commentaire sur l’article de Curt Hopkins qui est, avec celui de Tom Linden, à l’origine de ce billet.

L’Ecu, l’Euro et le Twollar

Les monnaies anciennes étaient couvertes de symboles de valeur « spirituelle », et les métaux précieux (or, argent) des pièces leur conféraient une valeur quasiment « immuable ». En France, Philippe Le Bel a, le premier, commencé à manipuler le cours de la monnaie, en frappant des pièces avec une certaine tolérance en argent et en pratiquant des « mutations » (dévaluations) qui affectèrent les prix.

De nos jours, les consommateurs partent généralement du principe que les prix sont raisonnables s’ils sont « conformes » au marché. Il y aurait donc une entité « supérieure », décidant de la valeur des choses, qui s’appellerait le « marché ». En réalité, on sait très bien que, du fait d’un petit nombre d’acteurs, les distorsions sur les prix sont au contraire la règle. Certaines pratiques sont illégales, comme la fraude, le « dumping » ou les ententes sur les prix, mais beaucoup sont parfaitement autorisées, comme la production contrôlée, la tarification différenciée ou les subventions gouvernementales. Les spéculateurs ne sont pas en reste. Les banques centrales ne font elles-mêmes rien d’autre que de manipuler les marchés (dans ce cas, elles disent qu’elles les « régulent ») en fixant les taux d’intérêt, ce qui a pour effet de faire monter ou descendre les prix sur la plupart des secteurs de l’économie. Aujourd’hui, on se rend compte avec stupeur des désastres de cette économie de « marché ».

La monnaie a progressivement perdu toute garantie d’ordre supérieur (que cet ordre supérieur soit le roi, l’or ou le marché) et n’est plus désormais qu’une pure quantité à la dérive. Quand elle aura perdu toute raison d’être, même simplement pratique, elle devra sans doute disparaître sous sa forme actuelle…En effet, nous avons tous vu dans Star Trek qu’il n’y aura pas besoin de monnaie dans le futur 🙂

C’est dans ce contexte de crise qu’apparaît le Twollar. Cette monnaie virtuelle est d’abord destinée à exprimer sa reconnaissance de façon symbolique, et est donc à considérer comme une tentative pour redonner à la monnaie sa « vraie » valeur, celle qui repose avant tout sur les qualités humaines. « Les Twollars sont un nouveau type de monnaie qui récompense votre valeur sociale pour ce qu’elle apporte aux autres, et votre bonne réputation au sein de votre communauté. Un Twollar est une façon de convertir vos ‘bonnes actions’, vos connaissances, votre énergie, votre générosité en une unité symbolique et standard, qui peut être échangée avec les autres. » Des FAQ très bien faits expliquent dans le détail ce qu’est le Twollar et comment s’en servir pratiquement. Pour approfondir la question au plan « théorique », je conseille également la lecture de l’article de Marc Tirel sur le sujet.

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Participation depuis Second Life à la discussion sur le Twollar lors du Cantine Crisis Camp du 7 mars 2009

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Les mondes virtuels, tels que Second Life, sont un autre exemple de cette révolution dans les mécanismes d’échanges. C’est ainsi que des artistes ou des acteurs sociaux se voient offrir gratuitement du terrain et de l’assistance du fait même de leur qualités personnelles et du projet qu’ils portent. Ce qui vaut de l’or dans Second Life, ce ne sont pas les Linden Dollars mais les qualités humaines.

Le Twollar est peut-être aussi le signe avant-coureur de ce que Sasha Chislenko appelle « l’hypéréconomie » et Stephan Bugaj les « marchés socialement réactifs ». Les marchés socialement réactifs sont des marchés dans lesquels les valeurs de la société dans laquelle les transactions ont lieu sont prises en compte directement dans le prix des biens et des services. Dans ce type de marché, c’est la communauté dans son ensemble qui détermine les prix, et non plus seulement un petit nombre d’acteurs qui les manipulent.

Aujourd’hui, le Twollar ne constitue certes qu’un simple amusement pour un petit nombre d’utilisateurs de Twitter (moins de sept cents à l’instant où je publie ce billet). Mais cette innovation de rupture mérite sans doute qu’on s’y intéresse de près…

Economies numériques : le virtuel et le mobile

Deux pistes de développement pour l’économie numérique : le virtuel dans les pays « développés », et le mobile dans les pays émergents ou de transition.

Dans nos économies dites « développées », la relance du développement pourrait passer par les univers virtuels. C’est le prochain « choc technologique » identifié par Eliezer Yudkowsky. En tout état de cause, la transition vers l’économie virtuelle ne sera pas facile car, si la première impulsion vient de la technologie, la réussite de sa mise en œuvre va demander la contribution des forces sociales, économiques et institutionnelles. En effet, comme je l’ai indiqué dans un billet précédent, les composantes d’un tel projet sont nombreuses : infrastructure à destination des mondes virtuels, gestion des identités virtuelles, procédures de création des sociétés virtuelles (statut, enregistrement allégé via Internet, levées de fonds en direct, etc.), accès à l’économie virtuelle pour les entreprises traditionnelles, gestion numérique des droits, plate-forme de communications, plate-forme d’échanges commerciaux, systèmes de paiement et mécanismes financiers.

Les mondes virtuels constituent non seulement une fantastique opportunité de décupler la fluidité des échanges de toutes natures (connaissances, flux économiques et financiers, etc.) mais aussi un moyen de favoriser un développement durable en réduisant les consommations énergétiques. Par exemple, il ne sera pas indéfiniment possible de construire de nouvelles tours sur La Défense, alors même que les infrastructures de transport sont déjà au bord de la saturation. Pourquoi faut-il aujourd’hui continuer à vouloir regrouper en un même lieu des centaines de milliers de personnes alors que les possibilités offertes par la réalité virtuelle permettraient, au moins en partie, de l’éviter ?

Dans ce contexte, l’utilisation des technologies d’intelligence artificielle est, à mon avis, indissociable de celle des mondes virtuels. En effet, l’économie virtuelle n’est pas une simple transposition de l’économie réelle, mais une transition vers l’hyperéconomie où les coûts de production et de distribution tendent vers zéro, les paiements sont universels et instantanés, et où des agents intelligents ont pour fonction de gérer cette économie en réseau.

Dans les pays émergents, le développement, en particulier le développement des zones rurales où les acteurs économiques traditionnels sont peu présents, passe sans doute par une utilisation accrue des infrastructures mobiles pour le transport de données. Par exemple, seule 5% de la population du Sénégal possède un compte bancaire mais le mobile pourrait bien être la clé qui permette au plus grand nombre d’accéder à des services bancaires qui autrement leur sont inaccessibles. Des modèles tels que M-Pesa au Kenya ou Wizzit en Afrique du Sud sont là pour démontrer le succès de ce type de dispositif. Le téléphone mobile est un formidable moyen de faciliter, dans ces régions, les échanges et les transactions.